05 November 2006

Recit de voyage -Excursion Maroc, Agadir - 2004 -2005

Excursion dans les montagnes

C’est à la fin du Ramadan, pendant la fête de l’Aïd (petite fête) que nous avons laissé Agadir derrière nous pour faire une escapade dans les montagnes du Moyen Atlas et de l’Anti-Atlas.
Nous sommes partis à 8 en 4X4 : dans le Range Rover, Jacques et Andrée, vieux couple de « babas cools », professionnels des bivouacs qui se sont rencontrés et vivent au Maroc depuis 30 ans. Dans une voiture saoudienne, Susanna, vétérinaire espagnole, et Monsieur Patricolo, mécanicien français né et résident à Agadir, et dans le plus gros 4X4 (d’un poids de trois tonnes en comptant le véhicule,les passagers et les bagages) : Leyre et Ernesto, espagnole de Madrid et brésilien de Porto Alegre qui ressemble plus à un allemand qu’à un « carioca » de batteria, Olivier « Adonis », le chauffeur marseillais, prof d’espagnol, et moi-même Elsa, prof à l’IFA, alias « Germaine », ou « le paquet », selon la progression de la piste !
Voilà pour les présentations.

A l’aller, nous sommes passés par Taliouine, où l’on s’est arrêté pour faire le plein, et chercher du pain (reubeuz), en vain car il n’y en avait pas, étant donné le jeûne du Ramadan.

Dans l’après-midi, on s’est arrêté dans le village du safran où Renée a acheté des fleurs de safran à 9 dirhams le gramme, escortée par un villageois, que nous avons suivi, en passant par la décharge du souk, où on est tombé nez à nez avec des os de charognes, des mâchoires de moutons, des boîtes de conserve rouillées, des plumes de poules, et un petit âne esseulé, accroché à son piquet, que nous avons pris en photo.

Plus tard on a croisé des nuées de criquets pèlerins rouges de 10 cm de long, qui se fracassaient contre la vitre du pare-brise, sous nos cris surpris et émerveillés, car c’était beau comme une pluie rouge de fleurs volantes.

En fin d’après midi, nous avons atterri dans un petit village berbère perdu dans une vallée au creux des montagnes désertes, suivis par les cris joyeux des enfants qui couraient après les voitures. Quand on s’est arrêté pour planter les tentes, tous les villageois sont venus à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue et ils nous ont serré la main en embrassant furtivement leur index.
Les petites filles aux fichus fleuris, jupes multicolores, et sandales de plastique ont gravi la montée en tenant sur leurs reins des tapis qu’elles ont déroulés à nos pieds, formant un beau parterre de couleurs chaudes.





Puis les enfants se sont accroupis dos au muret, serrés comme des sardines pour se tenir chaud, à nous observer, intrigués par ces voyageurs venant d’un autre monde, et par l’étrange déploiement de nos outils de campeurs, ce qui constituait un spectacle gratuit pour un peuple épargné par la mondialisation.

Il a commencé à faire très froid. C’est à 1700 mètres, le thermomètre posé sur la table de camping déployée indiquant 7 degrés, avec 3 pulls sur le dos, que nous avons commencé à réchauffer un tagine de poulet et courgettes sur le réchaud à gaz, posé à l’arrière dans le coffre du 4X4. Andrée a distribué bonnets et chapeaux à la cantonade : bonnets de laine écossais pour Leyre et moi-même, chapeau de trappeur pour Jacques, toge de fourrure pour le brésilien / allemand et bonnet marin à rayures pour elle-même.
Les trois tentes dressées et bien fixées pour lutter contre un vent persistant, on a décidé de se caler à l’entrée d’une des tentes, accroupis en cercle, à huit autour de la table bleue, collés les uns aux autres pour avoir le moins froid possible, une position contraignant le moindre mouvement, ce qui me valut de renverser mon assiette de pâtes sur mon seul et unique jean propre pour le voyage, au grand damne de Patricolo, dont j’avais tâché la veste sur laquelle nous étions assis !

A la fin du repas, après quelques bières et godets en plastique de rosée, Jacques s’est mis à entonner du Brassens (« j’avais le plus bel amandier du quartier ») et du Brel (« pour atteindre l’inaccessible étoile ! »), à en réveiller l’instituteur du village qui logeait à côté.
Ernesto, lui, a allumé son « calumet de la paix » (sa pipe), ressemblant à un kolkhoze avec son chapeau en fourrure, et Andrée a incendié son mari, se plaignant d’être mal assise sur cette chaise en plastique blanc si inconfortable, malgré la technique mathématique de Jacques, qui en avait déduit qu’en s’asseyant chacun à un angle et en médiane de la table, ça devait « le faire ».
Après quelques cigarettes et un tapis d’étoiles magnifiques à admirer dans le ciel noir, nous nous sommes faufilés dans les tentes, emmitouflés de duvets, sacs de couchage et couvertures, et nous avons sombré dans les bras de Morphée, après avoir échanger quelques blagues à travers les toiles des tentes.

Le lendemain matin, réveillés avec le chant du coq vers sept heures, il faisait un froid glacial : moins trois degrés !
Un villageois est venu nous apporter des galettes de pain, que l’on a dégustées avec du café soluble chaud dans le vent matinal. Après ça, on a encore eu droit à une séance de déroulage de tapis berbères tissés à la main : dernière tentative de commerce avant le départ !
Puis le chien d’Olivier, Soued, sensible à la peur des enfants, s’est mis à pourchasser un gamin qui, en tombant sur les cailloux, s’est écorché le genou et le poignet.
Heureusement, Susanna avait sa trousse de secours, en bonne vétérinaire qu’elle est.

Après le visage débarbouillé à l’eau glaciale, on est parti en inspection dans l’oued au creux de la vallée, où on a pu découvrir d’immenses roches aux formes bizarrement arrondies, comme des totems phalliques, avec une verdure inattendue dans ce désert montagneux.

Sur le chemin du retour, Ernesto et moi, un peu à la traîne, avons eu la chance inouïe de nous retrouver en plein milieu d’une procession d’hommes revêtus de l’habit traditionnel (la djellaba à capuche pointue rappelant les membres du Ku-Klux-Klan) entonnant des louanges à Dieu, perchés sur la pente en escarpe de la vallée. Les hommes chantaient et le refrain était repris par les petits garçons. Ernesto, géant intrigué par cet événement imprévu, se posta devant eux et entama les salutations habituelles :
_ salaam ! labas ?
_ bighir ! lamdoulilla !
_ lamdoulilla !
Puis, nous avons rejoint les autres et nous nous sommes installés sur des roches, sur le chemin de pierre sinueux, pour regarder passer la procession, les hommes du village chantant dans le soleil lumineux. Un d’entre eux qui portait un plat de couscous, l’a soulevé vers nous en criant « couscous ! » dans un rire plein de joie et d’accueil chaleureux. Il a gentiment offert de le partager avec nous, mais on s’est senti obligé de refuser tellement la quantité dérisoire de légumes qui surmontait la dune de semoule attestait de la pauvreté de ces villageois si généreux.
C’est, escortés par les enfants aux yeux noirs, aux mèches folles dépassant des foulards enroulés autour de la tête, la morve leur coulant du nez, et les tout petits, perchés sur le dos de leur grande sœur, que nous avons regagné les véhicules, enchantés par tant de gentillesse et de « bine jour ! Comment tu t’appelles ? ».




Le regard surmontant la vallée, on pouvait voir le troupeau de chèvres blanches, noires et marron suivies du berger avec son bâton, et le village aux petites maisons de pierres, arpenté de chemins escarpés, où les habitants nous saluaient sur le pas de leur porte, le sourire aux lèvres et les yeux curieux.
C’est les larmes aux yeux que je quittais cet endroit tellement authentique, magique et poétique, et ces gens qui avec un climat rude et une vie simple, étaient loin des soucis de la vie citadine, qui m’apparaissaient tout à coup insignifiants.

Le dimanche, on a roulé à travers les montagnes de l’Anti-Atlas, puis on s’est arrêté avant que le soir ne tombe afin de réitérer le long processus d’installation du campement.
Avant de préparer le dîner, on a décidé de faire une petite promenade. On s’est dirigé vers une grotte nichée dans la façade de la montagne, où nous avons rencontré le berger du coin.
En montant la petite pente qui menait à la grotte, Leyre a trébuché sur une pierre et s’est à moitié étalée dans les crottes de biques ! Puis le berger, dont la corne des talons était fissurée par la sécheresse, nous a fait visité l’enclos des chèvres plein de petites crottes, et nous a fait asseoir dans son étroit logement sur des tas de guenilles sales en guise de coussins. Puis il nous a offert des dattes qu’il a déposées sur un sac de papier à nos pieds en disant « koul ! koul !» (mange). Après on a goûté au lait de chèvre, qu’il a versé dans une boîte de conserve à la propreté douteuse !
Pour finir, il nous a mis en garde contre les serpents et les chacals que nous pourrions rencontrer dans la nuit, alors on est retourné au campement, une pierre à la main, au cas où un serpent croiserait notre chemin.

Après l’apéritif (muscat de Rivesaltes apporté par Patricolo !), on a formé un cercle avec quelques pierres sur le sol, puis on est allé à la recherche de branchages pour faire un feu.
Quand il a fini par prendre, on a posé la « marmite » dans les braises pour réchauffer le tagine du dîner. C’est à tâtons dans le noir que j’ai trébuché dans la gamelle du chien remplie d’eau, et comme ma chaussette gauche était toute mouillée, j’ai eu la bonne idée de la faire sécher sur une pierre autour du feu, mais elle a pris feu. Alors Andrée m’a prêté une paire de chaussettes qui ne pouvait appartenir qu’à Jacques puisqu’il était écrit « il est vraiment phénoménal ! ».

C’est à table que Jacques a raconté ses prouesses en 70 quand il faisait de l’escalade sur les massifs montagneux, de nuit, en dormant accroché dans un hamac. Et je vous ferai part de sa citation devenue célèbre quand il parlait des pistes pour les excursions, à savoir : « la liberté commence, là où s’arrête le goudron ! ». En effet, lorsqu’on roule sur une route goudronnée, le paysage appartient à tout le monde, alors que sur les pistes, ne pouvant être empruntées que par un certain type de véhicules, les randonneurs semblent être les seuls heureux élus à pouvoir admirer ces paysages magnifiques, demeurés intacts car inaltérés par la main de l’homme.
Quand la fatigue s’est faite sentir et que chacun a regagné sa tente, on a été réveillé en sursaut par un « merde » sonore : c’était Renée qui venait de se prendre le pied dans le piquet de sa tente. Voilà pour les trois chutes : pierre et crottes de biques pour Leyre, sardines de tente pour Renée, et gamelle de chien pour Elsa !

Cette nuit là, il a fait moins froid, étant donné qu’on était maintenant à mille mètres d’altitude, et non plus à 1700 mètres.
A sept heures du matin, j’ai passé ma tête par le passage étroit de la tente, ouvrant les yeux sur une vue magnifique de la montagne éclairée par un soleil qui se levait dans un silence immense.
Comme on n’avait plus de pain, on a terminé les quelques madeleines qui restaient, trempées dans le café chaud.
Après avoir brûlé les ordures et laissé quelques bouteilles vides à disposition du berger qui en ferait bon usage, nous reprîmes la route vers un agadir (grenier à blé) du seizième siècle, un village où les habitants avaient en majorité la peau noire. Une pause pipi rapide derrière murets ou rochers, selon le paysage, et on a repris le volant sur des pistes de cailloux où on pouvait se permettre quelquefois d’accélérer, quand Olivier décrétait « vamos a correr ! » (on va foncer).

C’est lundi après midi qu’on a traversé un grand village et un oasis en chantant « oasis oasis oh ! oasis oasis ah ! » du gros chanteur Carlos !
Là, fraîcheur à l’ombre des palmiers dattiers, chemins ombragés et sinueux, habitants faisant signe de la main aux portes des maisons roses. Arrêt pour acheter quelques zitounes (olives) comme apéritif avant le déjeuner, et moments entrecoupés de conversations au talkie walkie quand on perdait de vue les autres véhicules, avec les insultes typiquement espagnoles échangées entre Olivier, Patricolo et Susanna, comme « donde estas cogno ?! ».

Après le village, on a attaqué le flanc gauche de la montagne : courbes serrées en épingles, ravins à pics à peine protégés du vide, ronronnement du moteur qui peinait dans la montée en lacets, pour parvenir à une hauteur vertigineuse et assez impressionnante, mais qui valait la peine, car du sommet, on avait une vue terriblement plongeante sur l’oued et la verdure des palmiers qui contrastait magnifiquement avec la couleur ocre de la montagne.

Après une autre heure de route, on est arrivé au pied d’une montagne, surplombée d’un village de maisons de forme cubique, et faites de pierres colmatées. Au sommet : deux éoliennes inattendues, modernité tranchante avec le paysage, œuvre récente d’une ONG, pour l’alimentation du village en électricité.
Là, on a fait un break pour manger, en étendant un matelas au soleil, et en finissant les dernières tranches du délicieux jamon apporté par Leyre. C’est en tartinant sa madeleine de nutella qu’elle a laissé sous entendre une envie pressante (« ça pousse mais je ne te dirai pas quoi ! »).

C’est quand on a voulu reprendre la piste qu’on s’est aperçu que la jeep de Jacques était en panne…
Pendant les tentatives de réparation, pour meubler l’attente qui commençait à se faire longue, Ernesto s’est mis à étudier la carte de la région dans la voiture. Imprévisible, il en est ressorti déguisé en Patricolo, coiffé d’un bandeau de baba cool à rayures et de lunettes noires ! Quant à moi, je m’endormis à moitié, assise sur mon caillou, le visage tourné vers le soleil.
Il a fallu une bonne heure de manipulations par notre cher mécanicien professionnel Patricolo allongé sur le dos sous le moteur, de lexique automobile incompréhensible pour les non initiés, les manœuvres étant observées par un attroupement de garçons du village qui à mon avis n’avaient pas la télévision, pour trouver le problème (un fil déconnecté), et reprendre la piste caillouteuse pour une heure et demi de route.


Enfin on a retrouvé le goudron et j’ai changé de véhicule pour rentrer sur Agadir, comme Leyre, Ernesto et Olivier poursuivaient leurs vacances en s’arrêtant pour passer la nuit dans une auberge à Taliouine. Après s’être embrassé et souhaité bon voyage, le trio de vacanciers a remis « le paquet » (moi) à Patricolo et Susanna. Sur le retour après Tarroudant, on s’est fait arrêté par la police qui nous a demandé pourquoi on avait un véhicule saoudien.
Dès que Susanna a expliqué avec son charmant accent espagnol qu’elle travaillait pour le Prince Sultan à Agadir, on nous a laissé repartir sans problème !
Je suis arrivée à « dar diali » (ma maison) à neuf heures moins le quart précises, comme avait prévu Susanna, fatiguée et sale, mais ravie de ce week-end dépaysant et contente de pouvoir prendre une bonne douche bien chaude.

Je me souviendrai des arganiers, des palmiers, des oasis, des villages berbères, des pistes de pierre, des sourires des enfants qui criaient aux carreaux de la voiture « donne moi un stylo ! », de leurs yeux noirs en amande aux longs cils soyeux, des routes en serpent sur le flanc de la montagne, du scorpion trouvé au petit matin sous la tente, des petits ânes revêtus de couvertures colorées qui trottaient dans les sentiers en tirant des carrioles, montés par des hommes au visage bruni par le soleil, des puits de pierre surgissant au milieu de nulle part, et c’est avec impatience que j’attends le retour de nos trois compères pour qu’ils me racontent la fin de cette merveilleuse aventure !


Auteure: Elsa Swietlik
13, 14 et 15 novembre 2004, Agadir, Maroc.

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