31 May 2007

Lolita

Lolita
Light of my life
Fire of my loins
My sin
My soul
Nabokov


"Piccola", Collage Elsa Swietlik, 2003

Désolé Lola

Je n'ai pas su déchiffrer

Le sens secret de tes gestes

Simulacre ou magie futile

A moins que le vide et l'ennui

Ne s'emparent de toi Lolita

Et si cette bulle pleine de rien

Pouvait se crever enfin...

Noir Désir

« Lolita », Vladimir Nabokov


Dichotomie
Femme / enfant
Répulsion / attirance
Culpabilité / tentation

Introduction

Dès le début du roman, les allitérations en [L] dans la présentation au lecteur du personnage de Lolita, lui confère un caractère sensuel. La consonne liquide réitérée, imprime à l’organe de la langue des mouvements décrits comme trois petits bonds le long du palais.
« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-li-ta : le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais pour venir, à trois, cogner contre les dents. Lo.Li.Ta. ».

Plus tout à fait enfant, pas encore tout à fait femme, la nymphette se tient gracile, au seuil fragile de l’enfance à l’adolescence.
L’adolescente pré-pubère et faussement ingénue, provocante de fraîcheur et de jeunesse, exerce une fascination sur le narrateur.
Un narrateur désemparé devant tant de grâce…

Consciente de son charme, elle va envoûter notre quinquagénaire, dont le premier amour fut brutalement arraché lorsqu’il était encore enfant (« Annabelle mourut du typhus à Corfou »).

C’est à travers cette « nymphette » que Humbert Humbert tentera de redonner vie à son amour perdu (« avait-elle eu une devancière ? oui, certes oui. En vérité, il n’y aurait peut-être jamais eu de Lolita si je n’avais aimé, un certain été, une enfant initiale. ») p.15 / « jusqu’au jour, vingt-quatre ans plus tard, où je pus enfin briser son charme en la réincarnant dans une autre »


Conscience et culpabilité

Le narrateur fait preuve d’une certaine conscience quant à sa déviance par rapport à la normalité : il se questionne en effet sur l’origine première de son penchant pour les enfants : « mon désir extrême pour cette enfant n’était-il que le premier signe révélateur d’un travers inné ? ».

Il nomme même la perversité, en parlant de la différence d’âge entre les deux partenaires, comme d’une « distance convenable, d’un contraste idéal _que l’esprit savoure avec un frisson d’extase perverse ».

Il essaye de comprendre son obsession qu’il qualifie de « démence », tiraillé entre l’angoisse, la honte et un optimisme téméraire. (« Et je m’en effrayais parfois comme d’un signe précurseur de la démence »)

Il cherche le pardon à travers de multiples références littéraires, faisant appel à Virgile, Dante ou Pétrarque, pour rappeler au lecteur que cette attirance pour les nymphettes le précédait déjà de plusieurs siècles (1274).

De plus, le narrateur vit ce désir d’enfants comme une « extase solitaire », se contentant seulement de regarder, au risque de se voir condamné à dix ans de prison ferme :
« Un jour, une petite déesse en robe écossaise abattit avec fracas sur le banc, tout contre moi, son pied lourdement armé d’un patin à roulettes, et me traversa le cœur de ses bras graciles et nus (…) et je me dissolvais dans le soleil (…) en voyant ses boucles brunes balayer son genou écorché, pendant que l’ombre du feuillage que nous partagions palpitait, tendre et chaude, sur la cuisse radieuse qu’elle levait à la rencontre de ma joue caméléonesque ».

Il décrit ces moments furtifs comme des « romances tronquées », des « amours à sens unique » : déjà, il se pose en victime frustrée en manque de reconnaissance, seul épris dans un amour insoupçonné.

Parlant ici d’amour en solitaire sans attouchement, il n’exclut pas l’autre caractère sexuel des escapades qu’il a avec des « filles de joie », des « gourgandines », dont Monique, « qui fut la seule parmi les quatre-vingts grues qui le manipulèrent, à savoir éveiller en lui les affres d’un plaisir authentique. »

Cherchant une issue de secours dans son trauma, il résolut de se contenter d’ersatz, de « succédané spirituel », qui pourrait lui apporter l’épanouissement de certaines valeurs morales, et ainsi le « libérer de ses rêves dégradants et périlleux » : le mariage.
Cependant il compare sa femme Valérie à un simple « dégorgeoir licite où canaliser ses élans innommables » ! : bref, un orifice légal lui servant uniquement à décharger ses testicules, faute de ne pouvoir forniquer avec une enfant…

Ainsi, le lecteur est à la fois attendri par le caractère désespéré et sincère du narrateur, mais aussi pris de dégoût pour sa misogynie flagrante.

Du fond de sa cellule, le narrateur conserve ce sentiment de culpabilité, en évoquant ses souvenirs, qu’il « revit dans la détresse sans fond de son existence présente ». On retrouve la dichotomie culpabilité / jouissance tel un démon et son ange gardien dans le thème de la nympholâtrie qu’il qualifie « d’étrange univers terrifiant et aberré » où s’affrontent des régions infernales (le remords) et des régions paradisiaques (le plaisir).


La femme-enfant

La première fois que le narrateur voit Lolita, elle surgit comme une apparition parmi les lys de la piazza : « je marchais toujours derrière Mrs Haze quand, au-delà de la salle à manger, jaillit soudain une explosion de verdure _ « la piazza ! » chanta mon guide, et subitement, au dépourvu, une longue vague bleue roula sous mon cœur et là, à demi nue sur une natte inondée de soleil, s’agenouillant et pivotant sur ses jarrets, je vis mon amour de la Riviera qui m’observait par-dessus ses lunettes noires. » p.63
Le narrateur se retrouve « hagard et extasié » et compare cette première vision à « un éclair, un sursaut, un choc de reconnaissance passionnée ».
Pétrifié et sans souffle, les genoux tremblotants et les lèvres sèches… Toute cette description minutieuse des émotions assaillant le narrateur sont bien les signes du « coup de foudre ».

Lolita symbolise la femme-enfant, soit la dichotomie entre la sensualité féminine et la grâce juvénile.

Les détails physiques comme la coiffure, les activités de l’enfant ou les accessoires qu’elle porte concourent à rapprocher les symboles de l’enfance et ceux de la féminité en une connexion étroite et troublante.

Ses cheveux tressés, la raie au milieu, ses socquettes blanches, ses jupes qui virevoltent, son appareil dentaire, le chewing-gum et ses bulles, sont les attributs de l’enfance.

Alors qu’un bâton de rouge à lèvres et la description de son corps dénudé (« ses épaules graciles, son dos souple, soyeux et nu ») sont les éléments propres à la description sensuelle d’une femme.

La prude et l’ingénue

Venons en à la face cachée de notre jeune Lolita, soit à son côté faussement pudique.
Revenant de son camp de vacances et après confession des « jeux qu’elle avait pratiqué avec Charlie », le narrateur découvre une fillette « totalement, irrémédiablement dépravée ».

Il sous entend l’acte sexuel de fellation en faisant allusion à ses parties intimes : « cependant, tout impatiente qu’elle fût de me faire admirer cet univers coriace des enfants, elle n’était guère préparée à certaines divergences entre les dimensions d’un gamin et les miennes ».

Elsa Swietlik, 2004


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